Quand les migrants refaisaient surface... et me refaisaient faire surface...

Publié le par Guillermo

Chers lecteurs...

 

L'actualité de ces derniers jours a eu raison de mon silence.

Pour les plus fidèles d'entre vous, vous devez être bien aigres de ne pas avoir eu de mes nouvelles depuis 6 mois...

Pour les plus fidèles d'entre vous, l'actualité doit vous rappeler peut-être un billet que j'avais écrit ici, il y a deux ans, deux ans déjà...

Je vais vous le retranscrire ici, histoire de faire de mon retour un retour en douceur.

Avec d'anciens mots, tenter de panser de nouveaux maux...

J'avais imaginé une lettre, celle d'Amaya, petite fille Syrienne, à ses parents restés au pays. A l'époque, une embarcation avait atteri en Corse, et le ministre de l'intérieur de l'époque, dont j'ai volontairement effacé l'allusion (inutile de se faire plus de mal que ça) avait eu une philosophie que je qualifie d'inhumaine.

J'avais imaginé le périple de cette jeune fille, partie de l'enfer en espérant trouver un paradis...

C'est dur de se dire qu'on en parlait déjà il y a deux ans, et que la France ne se réveille que maintenant... Et encore, la définition du mot réveiller est encore trop forte.

Pas de polémique sur l'accueil ou non des migrants, des exilés, des immigrés, des sans pays, des condamnés, des ce que vous voulez...

Je vous laisse simplement avec l'idée que partout, le monde n'est pas si beau (déjà qu'ici parfois...). Il ya une très belle chanson de Clarika que je vous conseille chaudement d'écouter, Bien mérité.

A très vite...

 

Chère maman, Cher papa...

Je vous écris cette première lettre de France, le "pays des droits de l'homme" comme nous l'a présenté notre passeur il y a quelques jours, quand nous n'étions qu'à quelques minutes d'accoster.
Mais avant d'en arriver là, laissez-moi vous conter un peu mon périple.
Je suis parti, vous devez vous en souvenir, par un matin froid de ce mois de janvier. Des rêves plein la tête, ça c'est certain, et surtout la certitude de ne plus rien avoir à perdre. La sensation que la Syrie, ma Syrie que je quitte aujourd'hui mais qui reste et restera à jamais dans mon coeur n'a plus grand chose à m'offrir.
Je rêve d'une vie, une vraie. Je veux être heureuse et avoir les mêmes droits que les autres jeunes filles de la planète.
Je suis partie les poches vidées par le coût de ce voyage incertain. Incertain, parce que contrairement à ce que nous avait annoncé cet homme, il y a quelques semaines à la maison, le bout du voyage ne sera pas forcément paradisiaque. Il est loin l'éden qu'il nous contait à mesure que papa lui resservait à boire.

Tout d'abord, il a fallu marcher, longtemps, emmitouflés que nous étions tous dans nos manteaux parfois vétustes mais tellement salutaires. Dés que nous avons quitté le village, le passeur est devenu beaucoup moins agréable avec nous. Je suis accompagné de femmes et d'enfants pour l'essentiel, et peut-être était-ce dû à un côté un peu macho de sa part, ou alors la peur qu'on nous attrape avant l'arrivée au port...
Car oui, il a fallu aller jusqu'au port pour grimper dans un immense bateau. Je n'en n'avais jamais vu de si grand, de si majestueux. Le passeur nous a dit qu'on appelait ça un cargo.
J'ai été étonné de devoir prendre le bateau. Quand on nous a dit que l'on partait pour l'Europe, je pensais que nous irions tout simplement vers le Nord et la Turquie, mais apparemment, l'Europe est beaucoup plus loin à l'ouest.
Alors nous sommes tous montés à bord. Je serrai très fort la photo de nous trois devant notre maison. Je l'ai encore dans ma poche, mais je préfère ne pas la sortir plutôt que de la perdre.

La mer... Belle et impressionnante à la fois quand on la regarde du sol, mais tellement effrayante et chaotique quand on y navigue. J'ai été malade pendant l'essentiel de la traversée. On nous avait caché dans des compartiments pas vraiment adaptés pour recevoir des êtres humains. C'est à cet instant précis que je réalisais que, peut-être, je devrai renoncer à ce statut pendant quelques temps.

Je fermais les yeux pour ne pas m'imaginer finir mes jours au fond de la mer. Avoir fait tout cela pour que ça se termine ainsi n'était pas concevable. Je me souviens de la somme que papa avait réunie pour me permettre de vivre une vie différente de la sienne. Je me souviens des larmes que maman avait coulées en comprenant qu'il n'y avait pas d'autres solutions...

Après des heures interminables (peut-être des jours) pendant lesquels nous n'avons pas vu la lueur du jour justement, ni celle du passeur qui nous avait abandonné sur le port de Latakia, un autre homme est venu nous voir. Il a dit que nous sentions mauvais, et qu'on avait salopé son cargo. Et puis il nous a annoncé qu'on était arrivé au pays des droits de l'homme et qu'il fallait débarqué.
On est alors monté sur le pont et on nous a expliqué qu'il faudrait embarquer sur des bateaux beaucoup plus petits afin d'arriver à bon port.
La situation était très différente qu'à Latakia. Il faisait nuit, nous ne voyions rien, et l'eau était froide. Je le sais parce que les petits bateaux ne nous ont pas déposés sur le sable comme des princesses, bien au contraire. A quelques mètres de la rive, on nous a demandé de descendre et de continuer à la nage ou plutôt en marchant dans l'eau ( et de l'eau on en avait jusqu'à la taille). Il n'y avait sur la rive, ni lumière ni trace de vie.
Un homme est venu avec la dernière embarcation et nous a monté quelques tentes à la va-vite, il nous a installé un petit campement, nous a allumé un feu et est reparti très vite sur le cargo en nous souhaitant "Bon Courage". Je n'ai pas compris. Pour moi, le plus dur venait d'être accompli...

Nous sommes restés là quelques jours, sans trop savoir que faire ni où aller. Les enfants pleuraient, et nous commencions à nous sentir abandonnés. Ceci dit, j'avais remarqué la beauté du paysage de ce pays. La clarté de l'eau et la grandeur des arbres. Je sentais que je me plairais ici...
Mais des personnes sont arrivées un beau matin, et j'ai vite déchanté.
Ils se sont dits de la police, et nous ont littéralement chassés du campement, sans plus de management.
Ils n'étaient pas très heureux de nous trouver là. Nous n'avions fait aucun mal, mais ils ne voulaient rien entendre. Heureusement qu'il n'y avait que des femmes et des enfants...

On nous a emmené dans un grand bâtiment, avec des lits, des couvertures et de quoi manger. Pendant un instant, je me suis dit que finalement, c'était peut-être la destinée qui m'avait fait croiser la route de ces gens là.
Et puis une femme est arrivée et nous a parlés. Elle parlait parfaitement notre langue et a pu m'éclairer sur ce qui se passait. Elle m'a dit que nous étions dans l'illégalité la plus totale, que nous n'avions pas le droit d'être ici, et que la police voulait savoir comment nous avions atterri sur cette plage Corse (c'est une île française, très jolie par ailleurs).
Elle nous a dit que nous étions dans un gymnase pour la nuit, mais que dés le lendemain nous devrions rejoindre des centres de rétentions.

C'est d'ici que je vous écris cette lettre. Je ne sais pas de quoi sera fait demain. Certaines personnes sont venues nous apporter de quoi se nourrir et boire, et de quoi s'habiller et avoir chaud. D'autres nous brutalisent sans qu'on sache vraiment pourquoi.
L'interprète m'a dit qu'ils allaient vérifier les raisons de notre fuite, à chacun, et qu'ils jugeraient selon la personne, pour savoir si on mérite ou pas de rester ici.
Je prie chaque jour que Dieu fait pour ne pas être ramenée au pays, même si l'envie de vous voir et de vous serrer dans mes bras est forte.
Je prie parce que je ne veux pas avoir fait tout cela et revenir à la case départ.
J'aimerai que certains comprennent que je ne suis pas là pour les voler, ni pour leur prendre quoi que ce soit. Je ne mérite certainement pas d'avoir plus qu'eux, mais je ne pense pas avoir mérité moins...

Je vous aime, mes chers parents, et espère de tout mon coeur ne pas vous revoir de si vite...
Dieu est grand, et m'aide chaque jour dans l'espoir d'un futur meilleur...


Votre petite Samaya...
 

 

 

Publié dans Société

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